Filles victimes, filles vicieuses, filles dangereuses
In: Mauvaises filles”. Déviantes et délinquantes XIXe-XXIe siècles “Mauvaises filles”. Déviantes et délinquantes XIXe-XXIe siècles “Mauvaises filles”. Déviantes et délinquantes XIXe-XXIe siècles, Mar 2018, Lille, France Criminocorpus (2018); (2018-03-27)
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Le regard porté par la société sur la prostituée mineure oscille entre pitié et crainte. Cette ambiguïté est renforcée aux XIXe et XXe siècles par un paradoxe juridique. La jeune fille, victime officielle de la prostitution, est en réalité appréhendée juridiquement comme dangereuse et saisie dans le discours criminologique comme vicieuse. La Convention internationale de 1910 entend protéger les jeunes filles de la traite internationale. Quelques affaires de traite, extraites des Archives nationales et départementales du Nord, montrent qu’il existe réellement une émigration prostitutionnelle, mais que les jeunes filles impliquées dans cette traite ont des trajectoires multiples non exemptes d’empowerment. Les statistiques du contentieux du proxénétisme montrent que ces affaires sont rares, ce qui est en décalage avec la surmédiatisation du phénomène. L’écart entre les faits et leur traitement médiatique est évident. Le contexte anxiogène de la traite permet un contrôle global, par le corps social, de la sexualité des femmes et de leurs tentatives d’émancipation. Paradoxalement ces faits sont également instrumentalisés par la presse féministe elle-même. Les finalités sont alors différentes : il s’agit de lutter contre le réglementarisme, voire de soutenir d’autres causes féministes. Au niveau national, une politique pénale de lutte contre la prostitution des mineures existe depuis le début du XIXe siècle, qui s’inscrit plus globalement dans le cadre d’un contrôle de la sexualité des jeunes. À la fin du XIXe siècle, le législateur n’hésite plus à s’introduire au sein de la sphère familiale pour contrôler l’éducation donnée aux enfants par les parents, avec comme sanction possible la déchéance des droits de la puissance paternelle, notamment si l’enfant se prostitue. En 1935, il s’agit moins de sanctionner le parent défaillant que de mettre en place des mesures de surveillance éducative. La loi civile de 1908 entend protéger les jeunes de la prostitution. Elle met en place des mesures dites « de préservation ». La loi pénale de 1921 révèle une politique pénale coercitive en assimilant le vagabondage et la prostitution des mineur.e.s. Ces lois protectrices ou coercitives ont la même finalité : l’enfermement des mineur.e.s prostitué.e.s. Il s’agit moins de les protéger que de préserver la société des risques sanitaires et sociaux de cette prostitution de rue particulièrement dérangeante. En marge de la loi, les règlements municipaux encadrent et organisent la surveillance sanitaire de la prostitution des jeunes. Parallèlement, les théories criminologiques du XIXe siècle de l’école positiviste italienne (Lombroso, Ferri, Garofalo) et celles de l'École française d'Anthropologie sociale (Lacassagne, Tarde) combinées ont donné naissance pendant l’entre-deux guerres à l'École d'Anthropologie moderne fondée par le docteur Vervaeck. L'étude sur les mineures de Paul-Jean Cogniart en 1938 se situe dans la droite ligne de ce nouveau courant et propose une analyse des tares psychiques des jeunes filles, de leur milieu familial et des causes exogènes de leur prostitution. Son étude sert à justifier et à conforter le réglementarisme et laisse de côté l'image de la “victime”, pourtant fer de lance de l'abolitionnisme dans le débat public, image qui supplantera officiellement celle de la jeune fille vicieuse après la Seconde Guerre mondiale, tout en restant d’actualité dans les stéréotypes sur la prostitution. Les ambiguïtés et paradoxes relevés dans les discours de l’autorité publique (législateur, juge et criminologue) démontrent sans équivoque que la prostituée mineure est clairement « une mauvaise fille » déviante, voire délinquante. Le discours victimaire mobilisé ne sert que de prétexte pour encadrer de manière plus large la sexualité des jeunes filles et des femmes en général. Society's view of the minor prostitute oscillates between pity and fear. This ambiguity was reinforced in the 19th and 20th centuries by a legal paradox. The young girl, an official victim of prostitution, is in fact legally apprehended as dangerous and seized in the criminological discourse as vicious. The 1910 International Convention aims to protect young girls from international trafficking. A few cases of trafficking, extracted from the National and Departmental Archives of the North, show that there is indeed a prostitution-related emigration, but that the young girls involved in this trafficking have multiple trajectories that are not free of empowerment. The statistics on pimping litigation show that these cases are rare, which is out of step with the over-mediatization of the phenomenon. The gap between the facts and their media coverage is obvious. The anxiety-provoking context of trafficking allows for a global control by the social body of women's sexuality and their attempts at emancipation. Paradoxically, these facts are also instrumentalized by the feminist press itself. The aims are different: to fight against regulation and even to support other feminist causes. At the national level, a penal policy to combat the prostitution of minors has existed since the beginning of the 19th century. At the end of the 19th century, the legislator no longer hesitated to introduce himself into the family sphere to control the education given to children by parents, with the possible sanction of deprivation of the rights of paternal power, especially if the child prostitutes himself. In 1935, it was not so much a question of punishing the failing parent as of introducing educational supervision measures. The 1908 Civil Law aims to protect young people from prostitution. It implements so-called "preservation" measures. The criminal law of 1921 reveals a coercive penal policy by assimilating vagrancy and prostitution of minors. These protective or coercive laws have the same purpose: the confinement of minors who are prostitutes. The aim is not so much to protect them as to protect society from the health and social risks of this particularly disturbing street prostitution. In addition to the law, municipal bylaws regulate and organize health surveillance of youth prostitution. At the same time, the 19th century criminological theories of the Italian positivist school (Lombroso, Ferri, Garofalo) and the French School of Social Anthropology (Lacassagne, Tarde) combined gave birth during the inter-war period to the School of Modern Anthropology founded by Doctor Vervaeck. The study on minors by Paul-Jean Cogniart in 1938 is in line with this new trend and offers an analysis of the psychological problems of young girls, their family environment and the exogenous causes of their prostitution. His study serves to justify and reinforce regulation and leaves aside the image of the "victim", however spearheading abolitionism in the public debate, an image that will officially supplant that of the vicious girl after the Second World War, while remaining topical in stereotypes about prostitution. The ambiguities and paradoxes noted in the discourses of the public authority (legislator, judge and criminologist) show that the minor prostitute is clearly a deviant "bad girl", even a delinquent one. The mobilized victim discourse serves only as a pretext for framing the sexuality of young girls and women more broadly.
Titel: |
Filles victimes, filles vicieuses, filles dangereuses
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Autor/in / Beteiligte Person: | Duffuler-Vialle, Hélène ; Centre d'histoire judiciaire - UMR 8025 (CHJ) ; Université de Lille-Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) ; Centre d'histoire judiciaire (CHJ) |
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Quelle: | Mauvaises filles”. Déviantes et délinquantes XIXe-XXIe siècles “Mauvaises filles”. Déviantes et délinquantes XIXe-XXIe siècles “Mauvaises filles”. Déviantes et délinquantes XIXe-XXIe siècles, Mar 2018, Lille, France Criminocorpus (2018); (2018-03-27) |
Veröffentlichung: | HAL CCSD, 2018 |
Medientyp: | unknown |
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